Les Cinq Présences ou Mondes (al-ḥaḍarāt al-khams)
Dans la vision métaphysique soufie, l’Existence ne se limite pas au monde sensible. Elle s’étend au-delà de ce que l’on voit, vers des mondes invisibles, subtils et sacrés que les maîtres de la sagesse ont nommés al-ḥaḍarāt al-khams — les Cinq Présences.
Ces Présences sont autant de degrés de manifestation de la Réalité divine. Elles forment une hiérarchie verticale allant de la plus intime proximité avec l’Essence divine à la plus extérieure des réalités : le monde sensible.
Elles se répartissent en deux grands pôles :
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La Ḥaḍrat al-Ghayb (Présence de l’Inconnaissable) : domaine de l’invisible, de l’intériorité et du mystère divin. Elle regroupe les quatre premières Présences.
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La Ḥaḍrat ash-Shahāda (Présence du connaissable) : domaine de la manifestation extérieure, du visible et du sensible. Elle correspond à la cinquième Présence, celle du monde matériel.
Cette classification reflète le mouvement descendant de la Réalité, de l’Unité pure (Aḥadiyya) vers la multiplicité, et nous invite à remonter ce déploiement en quête d’Unité intérieure.

1. ʿĀlam al-Hāhūt
Le monde du Mystère ultime
C’est la Présence de l’Essence Divine (adh-Dhāt) dans son retrait absolu.
Avant toute manifestation, avant même les Noms et Attributs divins, il n’y avait que Lui, dans Son unité inaccessible (butūn al-dhāt).
Ce monde est aussi désigné par Tams wal ʿAmā (les ténèbres lumineuses du Non-être créé). Il symbolise le secret des secrets, l’unicité absolue (waḥdat adh-dhāt).
Inaccessible à toute créature, certaines lumières de cette Présence peuvent néanmoins effleurer les cœurs des grands saints (awliyāʾ) à travers des manifestations exceptionnelles (tajalliyāt).
2. ʿĀlam al-Lāhūt
Le monde de la Divinité
C’est le monde où se manifestent les Noms et les Attributs divins (asmāʾ Allāh wa-ṣifātuh).
On y perçoit la Beauté, la Majesté et la Perfection d’Allah à travers des lumières (anwār), des secrets (asrār), et des effusions (fuyūḍ).
Il est parfois appelé ʿĀlam al-Amr (le Monde du Décret divin).
Ce monde s’étend de la limite suprême de la Présence divine (le tawqul akhdar, liseré vert) jusqu’au Kursī (piédestal céleste).
Les esprits y sont absorbés dans l’amour divin et dépouillés de toute individualité.
3. ʿĀlam al-Jabarūt
Le monde de la Toute-Puissance
Aussi appelé le Monde de l’Au-delà (al-Ākhira), il est peuplé d’anges, d’âmes pures (arwāḥ mujarrada) et des effusions spirituelles divines.
Il s’étend du Kursī jusqu’au septième ciel et comprend le Huitième et Neuvième ciel, au-delà de l’univers céleste.
C’est le lieu de la perfection céleste des créatures, un monde intermédiaire de lumière où la Volonté divine se révèle par ordre, harmonie et majesté.
4. ʿĀlam al-Malakūt
Le monde céleste ou imaginal
Ce monde subtil, également appelé ʿĀlam al-mithāl (le monde des formes imaginales), constitue un intermonde entre l’invisible et le visible.
C’est là que résident les esprits, les réalités spirituelles, les formes symboliques, et les sphères célestes (aflāk).
Il s’étend sur les sept cieux et représente une interface entre les mondes supérieurs et le monde terrestre. Ce monde est perçu par le cœur purifié, non par les sens ordinaires.
5. ʿĀlam ash-Shahāda ou Nāsūt
Le monde visible
C’est le monde visible, notre monde terrestre.
Royaume du corps, des sens, de l’action et de l’épreuve, il s’étend du premier ciel jusqu’à la terre.
Ce monde est le théâtre de la responsabilité humaine, lieu du test, de la soumission, mais aussi de la connaissance à travers les signes manifestes (āyāt).
C’est ici que l’âme incarnée entreprend son ascension vers les Présences supérieures.
Ces cinq mondes peuvent aussi être regroupés selon deux grandes catégories ontologiques :
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Les degrés de la Vérité (Marātibul Ḥaqqiyya) : ils correspondent aux Présences précédant la création, où ne se manifeste que la Réalité divine sous ses différents aspects.
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Les degrés de la Création (Marātibul Khalqiyya) : ils englobent les 28 degrés existentiels, depuis la Plume (al-Qalam) jusqu’à l’apparition de l’homme, reflet du Nom suprême.
Comprendre ces Présences, c’est apprendre à lire les degrés de l’Être, à naviguer entre le caché et l’apparent, entre le sensible et le spirituel, entre ce qui est et ce qui donne à être.
C’est aussi se reconnecter à sa propre origine céleste pour mieux vivre sa vie terrestre.
« Il y a dans la création ce qui témoigne du Créateur ; mais il y a dans la Présence ce qui Le fait aimer. »
— Parole soufie